OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

 

« LA FRANCE N’EST PAS LE PHARE

QUI ILLUMINE LE MONDE »

 

L’HUMANITÉ, Mardi, 21 Février, 2017, Ixchel Delaporte

https://www.humanite.fr/olivier-le-cour-grandmaison-la-france-nest-pas-le-phare-qui-illumine-le-monde-632438

 

 

Mémoire. Un appel lancé à la société civile réclame la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France. Le politologue Olivier Le Cour Grandmaison explique l’urgence de rendre justice aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale.

 

Pourquoi avez-vous lancé un appel pour la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France ?

Olivier Le Cour Grandmaison

Lors de la commémoration du 8 mai 1945, en 2016, il nous a semblé important de lancer un appel relatif à l’ensemble des crimes coloniaux pour qu’ils soient enfin reconnus et qu’on ne s’en tienne pas à des revendications fragmentaires. Cet appel rappelle tout d’abord les moyens employés pendant la période coloniale sous la IIIe République, et notamment la condition des « indigènes » comme sujets français, jusqu’en 1945. À ce titre, ils furent assujettis au travail forcé et à un certain nombre de dispositions d’exception. Certaines étaient rassemblées dans le Code de l’indigénat, aussi appelé « code matraque » en Algérie par lesdits sujets français.

Aujourd’hui encore, pour beaucoup, la fin de la Seconde Guerre mondiale inaugure une période de paix. Or, après 1945, et contrairement à des chronologies oublieuses qui contribuent à entretenir le grand roman national, la France a presque constamment été en guerre dans ses colonies jusqu’au 19 mars 1962.

 

 

Comment expliquer les difficultés, sinon les réticences, de l’État français et du corps politique à reconnaître ces massacres ?

Olivier Le Cour Grandmaison

Depuis la loi du 23 février 2005, toujours en vigueur, la droite de gouvernement assume publiquement un discours de réhabilitation du passé colonial français. Cette loi scélérate établit une interprétation positive du passé colonial français. Elle a été le prologue d’un combat qui se poursuit encore.

En témoigne le discours de François Fillon, au cours de l’université d’été de son courant, où il a vanté les « mérites » de la colonisation française. De même l’extrême droite. Quant à l’actuel chef de l’État, à son gouvernement et à la majorité qui les soutient, ils font preuve d’une pusillanimité qui ne se dément pas.

 

 

Que répondez-vous à ceux qui pensent que faire vivre cette mémoire douloureuse contribuerait à une guerre des mémoires ?

Olivier Le Cour Grandmaison

La reconnaissance des crimes coloniaux mettra enfin un terme à ce qui est vécu par les héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale comme une discrimination mémorielle et commémorielle inacceptable. Contrairement à ceux qui affirment que cela contribue à relancer une guerre des mémoires, une telle reconnaissance permettra aux personnes concernées de voir leur passé singulier enfin publiquement reconnu.

Relativement à ces questions, si l’on s’affranchit d’un tropisme hexagonal particulièrement aveuglant, on découvre que la France n’est pas le phare qui illumine le monde mais une bien faible lueur.

La Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont tous, pour différents épisodes sanglants de leur passé colonial et conquérant, reconnu les torts terribles infligés aux populations autochtones.

Parfois même, cette reconnaissance officielle s’est accompagnée de réparations financières accordées aux victimes. C’est le cas aux États-Unis et en Grande-Bretagne dernièrement où, à la suite d’un jugement prononcé en juin 2013, les victimes mau-mau des massacres perpétrés au Kenya par les Britanniques ont eu gain de cause devant la justice.

 

 

Quels sont les enjeux, pour la société française, d’une reconnaissance collective de ces crimes ?

Olivier Le Cour Grandmaison

Il y a en France plusieurs millions d’héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale, qu’ils soient français, algériens ou nationaux d’anciennes colonies. Pour beaucoup d’entre eux, ce passé colonial a parfois gravement et durablement affecté leur histoire personnelle et familiale. L’une des façons de rendre justice aux victimes du colonialisme et à leurs descendants, c’est de reconnaître publiquement les crimes commis.

 

 

Pourquoi est-ce si difficile en France ?

Olivier Le Cour Grandmaison

Le passé colonial implique au moins trois Républiques, la IIIe, la IVe et la Ve, ainsi que l’ensemble des forces politiques. La droite, la SFIO et, dans certains cas, aussi la direction du PCF, dont les députés ont voté, le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux demandés par le socialiste Guy Mollet. Le retour sur ce passé colonial met à mal bien des mythologies nationales et partisanes.

 

 

Quels sont ces territoires où la guerre a continué après 1945 ?

Olivier Le Cour Grandmaison

D’abord les terribles massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, qui débutent le 8 mai 1945. Outre des milices coloniales, l’ensemble des forces armées françaises sont impliquées. Bilan : près de 35 000 morts. Il s’agit bien d’un crime d’État. Pour les autorités françaises, il s’agit de faire la démonstration qu’elles ne toléreront aucune velléité d’indépendance dans quelque territoire colonial que ce soit.

Sétif est un signal sanglant adressé à la population algérienne et à l’ensemble des colonisés. À preuve les massacres de Haiphong en Indochine, en novembre 1946, puis ceux de Madagascar : près 80 000 morts.

En juin 1954, la guerre d’Indochine s’achève, le 1er novembre, le conflit algérien débute. Entre 1945 et 1962, le nombre de morts dans les colonies est estimé à un million, soit plus que l’ensemble des civils, militaires et résistants français au cours de la Seconde Guerre mondiale (environ 600 000).

 

 

La façon dont on traite les jeunes Noirs et Arabes en France a-t-elle à voir avec ce passé colonial ?

Olivier Le Cour Grandmaison

Y compris après 1945, ceux que j’appelle les colonisés-émigrés ont été soumis à des dispositifs répressifs d’exception.

Lors de la manifestation du 14 juillet 1953, six militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) sont tués par la police.

En octobre 1961, les Français musulmans d’Algérie de Paris et de la banlieue se voient imposer un couvre-feu raciste décidé par le préfet Maurice Papon, avec l’aval du gouvernement de Michel Debré. Les massacres qui vont suivre, les rassemblements pacifiques organisés par le FLN témoignent là encore du recours à des violences extrêmes.

 

Quant aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale aujourd’hui, les jeunes des quartiers populaires plus encore, ils sont en quelque sorte l’incarnation des classes pauvres et dangereuses du XXIe siècle, contre lesquelles les violences policières que l’on sait sont couramment employées.

De plus, les pratiques policières dans les quartiers populaires – contrôles au faciès réitérés, humiliations et brutalités – tendent à établir une sorte d’état d’urgence permanent qui ne dit pas son nom mais dont l’objectif est bien d’assigner les jeunes visés à leurs quartiers.

 

 

L’appel est à retrouver sur Internet mesopinions.com

et sur le site de l’Humanité.fr

 

 

17 octobre 1961 – 17 octobre 2018

 

Appel à rassemblement

 

 

Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé par le gouvernement de l’époque dont le Premier ministre, Michel Debré, était hostile à l’indépendance de l’Algérie, et le Préfet de Police Maurice Papon sous ses ordres. Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

 

Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés – notamment par la « force de police auxiliaire » – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie.

Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police.

 

 

57 ans après, la Vérité est partiellement en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, – en particulier la Guerre d’Algérie – non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’État que constitue le 17 octobre 1961.

 

Le 17 octobre 2012, le Président de la République (François Hollande) avait certes fait un premier pas important, en déclarant : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. »

 

Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie.

Nous demandons une parole claire aux autorités de la République, au moment où certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation », à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à « honorer » les criminels de l’OAS.

 

 

Dans ce domaine, il est donc nécessaire que des mesures significatives soient prises :

  • Que la lumière soit faite sur les soi-disant « retours vers leurs douars d’origine » des algériens survivants du 17 octobre envoyés en fait dans des camps de la mort de l’Algérie coloniale.

  • Que la création d’un lieu de mémoire voué à cet évènement, demandée dans la résolution votée par le Sénat en octobre 2012 qui reconnaissait elle aussi ce massacre, soit rapidement mise en œuvre par les autorités de l’État, de la Ville de Paris et la Région Île-de-France.

  • Pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, avec leurs collègues algériens

  • La vérité doit être dite sur l’organisation criminelle de l’OAS que certains, comme au sein de la droite et extrême droite politique veulent la réhabiliter.

Ce n’est qu’à ce prix que pourra disparaître la séquelle la plus grave de la Guerre d’Algérie, à savoir le racisme, l’islamophobie dont sont victimes aujourd’hui nombre de citoyennes et citoyens, ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois meurtrières. 

On ne construit pas la démocratie sur des mensonges et des occultations. Après plus d’un demi-siècle, il est temps :

  • Que le Président de la République, au nom de la France, confirme, par un geste symbolique, la reconnaissance et la condamnation de ce crime D’État. Comme il vient de le faire pour l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française et pour l’existence d’un système de torture généralisé. Cette reconnaissance doit s’étendre aux milliers d’Algériens qui en ont été victimes (voir le site www.100autres.org)

  • Que l’État français reconnaisse sa responsabilité dans l’internement arbitraire, pendant la Guerre d’Algérie, d’Algériens dans des camps ;

  • Que la liberté d’accès aux archives soit effective pour tous, historiens et citoyens ;

  • Que la recherche historique sur ces questions soit encouragée, dans un cadre franco-algérien, international et indépendant.

  

A l’occasion de ce 57ème anniversaire, nous exigeons Vérité et Justice.

 

Rassemblement le 17 octobre 2018 à 18 heures

au Pont Saint Michel à Paris

 

 

Associations, Organisations Syndicales : 17 octobre contre l’oubli, 4ACG (Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre), AFASPA (Association française d’amitié et solidarité avec les peuples d’Afrique), ANPROMEVO (Association nationale de protection de la mémoire des victimes de l’OAS), Amis de l’Algérie à Rennes, APCV (Association pour la promotion de la culture et du voyage), ARAC (Association Républicaine des anciens combattants), Au Nom de la mémoire, association Maurice Audin,  Émancipation – Tendance intersyndicale, Comité Vérité et justice pour Charonne, FARR (Franco-Algériens républicains rassemblés), Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), CAPJPO-EuroPalestine, CEDETIM/IPAM, Fondation Frantz Fanon, Fondation Copernic, Le 93 au cœur de la République, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Les Amis de Max Marchand – Mouloud Feraoun et leurs compagnons, Les Oranges, Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Mouvement de la paix, SNES-FSU, Solidaires, Sortir du colonialisme,

   

Partis Politiques : EELV (Europe Écologie les Verts), NPA (Nouveau parti anticapitaliste), Parti de gauche, PCF (Parti communiste français)