Dossier dans le journal Libération du mardi 18 mars 2014.

Extraits. Il convient d'utiliser les liens pour consulter l'original.

 

Municipales :

les étrangers sans voix 

 

http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/17/etrangers-suffrages-en-souffrance_987885

Alice Géraud - Enquête.

 

L’impossibilité pour certains résidents installés en France de voter aux municipales exclut près de 2 millions de citoyens.

Et interroge sur la représentativité de certains élus.

 

En 2014, les étrangers résidant en France depuis plus de cinq ans auraient dû participer au premier tour des municipales.

C’était l’engagement 50 du candidat Hollande :

«J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans.»

Vieille, très vieille promesse de la gauche, une nouvelle fois repoussée, officiellement faute d’une majorité des 3/5e du Parlement pour l’adopter.

 

Derrière la question du droit de vote, il y a celle du manque de représentativité des élus dans les banlieues populaires.

  • A Aubervilliers, 76 000 habitants, Salvatore a été confortablement élu en 2008 par… 7% des habitants.

Candidat à sa réélection,il n’est pas le seul édile à y être confronté.

  • A Clichy-sous-Bois, autre commune pauvre de Seine-Saint-Denis, l’ancien maire PS Claude Dilain avait, lui, été élu avec… 2 792 voix.

Soit 9% de la population.

  • Idem pour le maire de La Courneuve, de Grigny dans l’Essonne, de Roubaix dans le Nord, qui tournent autour des 10%.

 

Autant de chiffres dont on parle peu et qui touchent en premier lieu les banlieues populaires, où se cumulent l’effet d’une faible proportion d’inscrits sur les listes électorales et celui d’une abstention traditionnellement plus forte dans ces quartiers.

 

A Aubervilliers par exemple, seul un tiers des habitants sont inscrits sur les listes.

Parce que la population est plus jeune qu’ailleurs et compte proportionnellement beaucoup de mineurs.

Parce qu’elle est aussi plus précaire, donc plus mobile.

Contrairement à une idée reçue, les quartiers les plus pauvres sont aussi ceux qui connaissant d’importants turnover de population, favorisant les non-inscriptions sur les listes électorales.

Enfin, ce sont les villes où se concentrent les populations immigrées venues de l’extérieur de l’Union européenne et ne disposant donc pas du droit de vote.

Ainsi, à Clichy-sous-Bois, 36% de la population est étrangère.

A Aubervilliers, 35%.

«Il y a une unanimité chez les socialistes pour soutenir le droit de vote des étrangers, mais pas forcément sur la nécessité de son actualité»

euphémise Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère.

http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/17/pour-l-executif-une-promesse-qui-peut-encore-attendre_987882

 

54 % des français étaient favorables en mai 2013 à l'extension du droit de vote aux étrangers non communautaires pour les municipales et les européennes.

 

Nancy Hamilton,
Canadienne, 51 ans,
en France depuis 1994.

 

«Après des années dans l’illégalité, j’ai été régularisée il y a cinq ans.

Ce qui me choque le plus, c’est qu’on nous demande de nous intégrer, qu’on paie des impôts, mais sans avoir ensuite le droit de participer à la vie démocratique.

Je me sens chez moi mais l’État me renvoie en permanence le message opposé.

 

Je suis arrivée en France en 1994 pour faire des études de littérature.

J’aurais pu rentrer mais j’ai décidé de rester à la fin de mon cursus scolaire, parce que j’avais tissé des liens dans ce pays et que, sentimentalement, la France est devenue mon pays d’adoption.

 

«Ne pas avoir le droit de vote m’empêche de sentir que je fais pleinement partie de la communauté. Cela ne fait que renforcer mon sentiment d’être exclue.

En France, jusqu’en 1944, ce sont les femmes qui étaient les exclues car elles n’avaient pas le droit de voter. Aujourd’hui, ce sont les étrangers.

 

«Autour de moi, beaucoup de parents étrangers ont leurs enfants français scolarisés depuis des années, quand eux n’ont pas de papiers.

Comment voulez-vous vivre normalement dans ces conditions ?

Aujourd’hui, comme beaucoup, je me sens trahie par François Hollande et son gouvernement.

 

Ce qui me dégoûte encore plus, c’est que j’ai encouragé les gens autour de moi à voter pour lui.

Je suis là depuis vingt ans et je dois encore renouveler ma carte de séjour tous les ans.» 

Habib Abdelhat, Tunisien, 50 ans, en France depuis 1994.

 

«Comment voulez-vous

qu’ils aient du respect

pour ce pays ?»

 

Libération - 17 MARS 2014 -Recueilli par Charlie Duplan - TÉMOIGNAGE

http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/17/comment-voulez-vous-qu-ils-aient-du-respect-pour-ce-pays_987883

 

«J’ai quitté la Tunisie pour fuir la dictature.

Je vis ici depuis 1994. Depuis vingt ans, soit la moitié de ma vie, je ne peux pas exprimer mon opinion par le vote.

Je n’en parle pas encore à mes deux enfants qui sont trop petits, mais je suis éducateur spécialisé dans les quartiers populaires et j’encourage des jeunes qui sont à la marge à s’intégrer socialement.

Alors imaginez la situation quand je leur explique que je n’ai pas le droit de voter !

Pour beaucoup, ça concerne aussi leurs parents.

Comment voulez-vous qu’ils aient du respect pour l’autorité ou pour un pays qui dépossède leurs parents de leurs droits ?

Ils partent du principe que les règles du jeu sont faussées dès le départ.

Quand je leur dis le contraire, ils me renvoient à la figure leur manque de confiance dans le système.

 

«Le discours d’intégration du Président et de son gouvernement est décrédibilisé par le fait que nous, les vieux de l’immigration, ceux qui bossent ici en toute légalité, ne pouvons pas participer à la vie politique française.

Il y a quelques années, j’ai milité pour le NPA ou la LCR, sans pouvoir ensuite voter, donner mon avis dans les urnes.

 

«Nous accorder le droit de vote aux élections locales permettrait d’avoir des résultats qui représenteraient beaucoup plus la réalité du territoire, alors qu’aujourd’hui la classe dirigeante ne représente pas la diversité du pays.

Ce n’est pas juste une histoire de droit de vote, c’est plus global.

C’est symptomatique d’une conception des droits de l’homme et d’une question :

 

qu’est-ce qu’on fait de nous, les étrangers ?»