Mineurs isolés, l’enfance déniée

Édito extrait du Plein droitn° 102, octobre 2014


« Mineurs isolés, l’enfance déniée»

« Le plus humain possible »


Eurêka ! Après quinze ans environ d’un défilement continu d’étrangères et d’étrangers dans le Calaisis – au total plusieurs dizaines de milliers de personnes – et douze ans après la fermeture du hangar de Sangatte qui, pendant un peu moins de trois ans, leur avait permis d’avoir un toit sur la tête, le nouveau ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, vient d’avoir une idée :

« Je veux essayer, en liaison avec les associations, de créer les conditions d’un accompagnement le plus humain possible »,

a-t-il déclaré à Rome, le 28 août 2014.


Embarras parce que la solution – la seule –, pertinente dans le Calaisis comme dans toute l’Europe et dans sa périphérie, qui aurait aussi la vertu d’arrêter le carnage en Méditerranée, est tout simplement accéder aux demandes légitimes, sur le plan humain comme sur le plan des droits fondamentaux, des personnes exilées en leur permettant d’aller où elles veulent et, pour celles qui souhaitent demeurer en France, leur accorder la protection de l’asile ou, à tout le moins, le droit d’y séjourner.

Telle fut la solution alors trouvée par les ministres de l’intérieur de France et de Grande-Bretagne, MM. Sarkozy et Blunkett. Ils avaient accordé à la grande majorité des résident·e·s du camp le droit de s’installer en Angleterre et d’y travailler.

Aux autres, la France avait promis la délivrance d’un titre de séjour. « Il serait politiquement regrettable que la solution qui a présidé à cette conclusion ne s’applique qu’à la seule fermeture de Sangatte, et reste à l’état d’exception », avait alors souligné le Gisti.

Et voilà qu’aujourd’hui, on est aux antipodes : le gouvernement anglais vient de décider d’offrir 15 millions d’euros à la France pour intensifier sa guerre anti-migratoire.


Mais rien n’y fait.

Au fil du temps, l’Europe s’est transformée en machine à repousser les personnes migrantes, y compris, et quoi qu’elle en dise, celles qu’elle a l’obligation de protéger des persécutions.

En Méditerranée, elle tue.

Et, sur son territoire, elle triche en instaurant d’impraticables dédales conçus pour noyer, administrativement cette fois, celles et ceux qui devraient bénéficier de l’asile.

Mineurs:

des mois de prison pour avoir

prétendument menti sur son âge !


par RESF/ Collectif Jeunes Majeurs 69

source : Mediapart (le blog de RESF)


Suspicion partout ! Protection des mineurs ?… en voie de disparition !


L’insécurité dans laquelle les autorités plongent de plus en plus de jeunes étrangers, ça suffit !


Dans le Rhône, les mineurs isolés étrangers continuent de faire les frais des contrôles du Conseil général et de la police sur leur âge et leurs documents d’état civil, avec des accusations d’escroquerie du Parquet, des comparutions immédiates et des condamnations du Tribunal correctionnel.


Après 4 mois de prison pour l’un, un mois pour l’autre, Alkasim et Carine ont pu reprendre le chemin de l’école, mais d’autres les ont remplacés, convoqués par la Police aux frontières (PAF), traînés à leur tour en comparution immédiate au tribunal correctionnel, envoyés en prison pour certains…


Ainsi Kelson, un lycéen angolais de Villefranche vient d’être envoyé à la prison de Corbas pour 3 mois, avec 2 ans d’interdiction de territoire et 160 000 euros à rembourser au Conseil général, pour s’être dit mineur alors qu’il serait majeur.

La semaine d’avant, à 2 semaines de ses 18 ans, un jeune Sierra-léonais de Lyon était accusé de mentir sur son âge, puis sur son identité et sa nationalité.

Condamné à 3 mois de prison avec sursis, 2 ans d’interdiction de territoire, il ne s’appellerait pas de son nom, ne serait pas Sierra-léonais mais Guinéen, aurait 33 ans et non 18 ans, serait père de 2 enfants, et aurait été salarié dans une entreprise guinéenne, ce qui est totalement rocambolesque pour ceux qui connaissent ce jeune !

D’autres mineurs pris en charge par le Conseil général attendent dans l’angoisse d’être convoqués par la PAF, au risque d’être eux aussi injustement condamnés, enfermés, menacés d’expulsion…


Comment peut-on en arriver à des situations aussi grotesques que dramatiques ?

Quelles preuves à l’appui de la suspicion et des condamnations ?


Bien sûr, la pratique des tests osseux, ça continue.

Mais, le Parquet et la PAF savent qu’ils sont largement contestés et que leurs résultats ne suffisent pas toujours à convaincre les juges de la culpabilité des jeunes.

Ce fut le cas pour Carine pour qui la Cour d’appel s’est finalement déclarée incompétente cet été, alors qu’elle avait subi un mois de prison pour rien …

Les autorités mettent de plus en plus souvent en cause la validité des actes de naissance, même sans aucune preuve objective, en mettant en avant des arguments totalement invérifiables…

Presque tous les actes d’état civil étrangers présentés sont considérés comme suspects.

Quand l’acte est authentifié comme pour Alkasim, ils prétendent qu’il appartient à quelqu’un d’autre puisqu’il ne comporte pas de photo, et ils font tout pour le faire avouer au jeune.

C’est d’autant plus facile pour la police de porter ce genre d’accusation que l’état civil ne fonctionne absolument pas comme en France dans nombre de pays d’origine des jeunes : nombreuses naissances non déclarées ou déclarées en retard, disparité des conditions de délivrance des actes selon la zone où on est…

Enfin, dans les conditions dans lesquelles beaucoup de jeunes sont obligés de partir, avec parfois leur vie menacée, ils n’ont pas toujours le temps d’emporter le bon papier, et doivent même quelquefois tricher pour tenter de décrocher un visa auprès d’ambassades européennes qui ne l’accorderaient sûrement pas à un mineur sans ressources.

Mais tout ça, le parquet et la police ne veulent pas le savoir !

Tout ce qui est produit ici est considéré comme faux ; et ils partent à la recherche de toutes sortes de traces d’actes passés avec de redoutables fichiers comme « Visabio » qui permet de retrouver les demandes de visa Schengen faites dans les pays d’origine.

La demande de visa faite par le jeune Sierra-léonais de Lyon au nom d’un adulte a été considérée comme indiscutable puisqu’elle permettait de le condamner comme tricheur en France.


Aujourd’hui, la suspicion sur les jeunes étrangers s’étend. Au-delà de la région lyonnaise qui semble servir de terrain d’expérimentation pour ce qui est des condamnations, ce sont beaucoup d’autres régions qui connaissent l’exclusion des mineurs isolés étrangers des dispositifs de protection de l’enfance, et parfois aussi leurs condamnations.

De plus, même des jeunes majeurs régularisés sont accusés d’utiliser de faux documents d’état civil. C’est l’aventure qui est arrivée ces derniers jours à un autre jeune à la Préfecture de Lyon.

Venu avec son passeport pour renouveler la carte Vie Privée et Familiale qui lui a été accordée il y a un an, il a été arrêté au guichet, puis conduit dans les locaux de la PAF qui a essayé de lui faire avouer que son passeport était faux.

Faute d’y arriver et de preuves, la PAF a dû le libérer, mais a gardé son passeport et son acte de naissance.


Ce que le gouvernement et les conseils généraux appellent « Evaluation de la situation des mineurs isolés étrangers » cache une entreprise de criminalisation et de précarisation qui cherche à démolir tous les espoirs d’intégration des jeunes étrangers.

Cette entreprise de précarisation touche encore les jeunes quand ils deviennent majeurs. C’est alors la Préfecture qui prend le relai du Parquet en refusant d’accorder le droit au séjour aux anciens mineurs, accusés ou pas d’avoir menti quand ils étaient mineurs…

Dans plus d’une dizaine de lycées de Lyon et de banlieue, des lycéens majeurs étrangers sont sous le coup d’Obligations de Quitter le Territoire qui les empêchent d’étudier et de vivre comme tous leurs camarades français.

Pour eux, l’incertitude du lendemain est synonyme de risque d’expulsion.

La tranquillité d’esprit, la stabilité dans leur existence, ils ne connaissent pas !


Le collectif jeunes majeurs 69 de RESF demande :

  • L’arrêt de la pratique des tests osseux pour déterminer l’âge des jeunes étrangers

  • L’arrêt des contrôles à visée répressive, par la police et le Parquet de la situation des mineurs isolés étrangers

  • La reconnaissance des actes d’état civil étrangers et le respect de la présomption de minorité

  • La prise en charge sociale et éducative de tous les jeunes sans famille en France jusqu’à 21 ans

  • La régularisation de tous les jeunes majeurs scolarisés étrangers avec des titres de séjour stables et durables.

  • Des papiers et des droits égaux pour tous, Français ou étrangers :

    • le droit de circuler et de s’installer dans le pays de son choix,

    • le droit à l’éducation,

    • au logement,

    • à la santé,

    • au travail,

    • la protection des mineurs.


Lyon, le 3 octobre 2014


RESF/ Collectif Jeunes Majeurs 69

lundi 6 octobre 2014.