Roms: retour vers la préhistoire


Médiapart I 18 octobre 2014 |  Par philippe alain


Tout a commencé mercredi 1eroctobre à Villeurbanne.

Ce jour là, 296 personnes selon la préfecture sont expulsées d’un ancien centre d’hébergement d’urgence ouvert dans le cadre du plan froid 2013-2014.

Parmi elles, des personnes de toute nationalités : roumaine, serbe, bulgare, géorgienne, française, ainsi que de très nombreux enfants.


Une fois de plus, l’expulsion est réalisée au petit matin, sans aucune proposition d’hébergement pour les personnes les plus fragiles.

Un homme de 65 ans, Français, titulaire d’une carte d’invalidité, est jeté à la rue sans autre forme de procès.

De même, plusieurs femmes enceintes et des enfants en très bas âge parmi lesquels une petite fille de 1 mois et demi.


Dans la soirée, les familles vont essayer de se reposer dans un square voisin.

Elles sont rapidement délogées par la police.

Quelques jours plus tard, on retrouve une partie des familles et leurs enfants du côté de la gare de Villeurbanne, à même le sol, sans autre protection que le ciel étoilé lorsque la nuit est tombée.

L’autre partie des familles se réfugie du côté de Gerland.


Quelques familles dorment par terre, sous le porche d’une entrée, en haut d’un escalier. D’autres dorment dans des voitures, entassés, les uns sur les autres.

Le samedi, des hommes partent pour essayer de trouver un endroit plus favorable.

Dans la soirée, c’est décidé, ils iront investir un ancien site industriel abandonné.

Le Grand Lyon possède des centaines de sites et de terrain qu’il rachète à bas prix et revend une fortune à des promoteurs.

Vers 22 heures, tout le monde part s’installer quelques rue plus loin, dans le bâtiment désaffecté.

Comme on pouvait s’y attendre, probablement suivis par des civils qui ont reçu pour consigne de ne surtout pas les laisser s’installer durablement autre part que sur un bout de trottoir, ils reçoivent dès le lendemain la visite de nombreux policiers.


La confrontation est dure.

Les familles refusent de sortir, n’ayant nulle part où aller.

Les policiers ont reçu des consignes, ils n’y vont pas par quatre chemins.

Les affaires sont jetées, des femmes sont bousculées.

L’une d’entre elle qui reçoit un coup fait un malaise et les secours sont appelés.

En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, tout le monde est rejeté à la rue et la porte du bâtiment à nouveau condamnée.

Les familles retournent dormir sur le trottoir ou dans les voitures.


Les autres familles qui étaient restées du côté de Villeurbanne décident de se rendre à Saint-Priest sur un terrain situé dans une zone industrielle.

Samedi matin, personne ne les remarque.

En revanche, dimanche, des équipages de police, accompagnés de représentants de la mairie prennent note de leur occupation des lieux depuis plus de 48 heures.

Le terrain est grand.

Pour l’instant il n’y a qu’une dizaine de familles, mais les autorités savent que ce bidonville pourrait s’agrandir.

Alors elles vont commencer leur harcèlement.

Tous les jours, des équipages de police municipale et de police nationale passent pour demander aux familles de quitter les lieux.


Mercredi 8 octobre, alors que les familles commencent à s’installer sur un côté de la parcelle qui n’est pas inondé, la police nationale, la police municipale et des équipages de policiers en civil arrivent avec un bulldozer et un camion.

Toutes les habitations de fortune sont détruites, y compris les tentes.

Cette intervention n’a aucun fondement juridique.

Au-delà de 48 heures d’occupation, une procédure juridique est obligatoire pour expulser les occupants d’un terrain.

D’après un journaliste témoin sur place, c’est encore le Grand Lyon qui serait intervenu.

La question qui se pose est de savoir si c’est à la demande de la police que les habitations ont été détruites ou si c’est le Grand Lyon, probablement propriétaire du terrain qui a demandé l’assistance de la police pour se faire justice lui-même, en dehors de tout cadre légal.

Dans les 2 cas, la police nationale, supposée faire respecter la loi, a prêté son concours à une opération d’expulsion totalement illégale.


Les familles sont rejetées sur une partie de la parcelle où des flaques d’eau se sont formées.

Un officier de police explique qu’il veut les voir partir « pour leur bien », parce qu’il y a des enfants qui ne peuvent pas vivre les pieds dans l’eau.

Dans le même temps, il les expulse de la partie du terrain où ils avaient les pieds au sec.

Allez comprendre.


Vendredi 10 octobre, Lyon et sa banlieue sont noyés sous des trombes d’eau.

Les familles de Saint-Priest sont retournées à l’âge de la préhistoire.

Après la destruction illégale de leurs cabanes, les familles ont construit des sortes de tentes. Il faut le voir pour y croire. Les abris sont constitués de morceaux de bois inclinés attachés par de la ficelle.

Par dessus, les plus chanceux ont pu mettre des bâches en plastique. Pour d’autres, une simple couverture dont l’eau se moque sert de toit.

Les parents et les enfants sont à même le sol, avec pour quelques-uns des couvertures qui constituent un isolant bien dérisoire.

Tout autour, on patauge dans de la boue.

Afin de ne pas détruire leurs chaussures, les adultes préfère marcher pieds nus et se rincer dans les flaques d’eau glacée avant de rentrer sous leur abri.

Le peu de nourriture que les parents ont pu récupérer grâce à des dons est gorgé d’eau.

Un réchaud de fortune qui sert autant à se réchauffer qu’à cuire quelques aliments est improvisé pour que les enfants mangent quelque chose de chaud.


Quelques jours plus tard, une partie des famille trouve un bâtiment pour se mettre au sec.

Le harcèlement policier reprend, on leur demande de quitter les lieux sans décision du tribunal, ils refusent.

Le propriétaire engage une procédure d’expulsion.

Dans quelques semaines ou quelques mois, tout le monde se retrouvera à nouveau à la rue.


Avant de procéder à une expulsion, le préfet est censé mettre en place un diagnostic permettant d’éviter ce genre de situation, selon la circulaire du 26 août 2012.

Dans le Rhône, la circulaire n’a jamais été appliquée.


La France a été condamné à de multiples reprises par les instances européennes et internationales pour sa politique d’expulsion qui viole tous les principes humanitaires.