PÉNALISATION ET ENFERMEMENT

DES ÉTRANGERS

Patrick Henriot

La stigmatisation des étrangers, l'ostracisme à leur égard est maintenant érigé en politique, assumée, revendiquée.

Elle passe par mille et un discours qui les désignent comme boucs émissaires, mais aussi par des lois, des décrets, l'encouragement de pratiques administrative qui, directement ou indirectement, réduisent leurs droits ou les soumettent à des régimes particuliers au point de commencer à construire un véritable apartheid juridique.

Deux instruments, parmi tant d'autres, sont largement utilisés pour y parvenir.

D'abord un recours outrancier à la pénalisation et l'élaboration d'un régime pénal spécifique, qui ont permis, ensemble, de parler de l'étranger comme de la cible d'un droit pénal, de l'ennemi.

Tout le droit pénal est en train de passer d'une logique de responsabilité fondée sur la culpabilité à une logique d'exclusion fondée sur la dangerosité, mais la situation des étrangers est à cet égard emblématique : la pénalisation de l'étranger le désigne comme dangereux, comme porteur d'un risque contre lequel il faudrait se prémunir…

La disposition la plus emblématique est certainement la pénalisation du séjour irrégulier : le simple fait d'être « un autre », d'être né là-bas plutôt qu'ici, le fait de venir ici plutôt que de rester là-bas, est érigé en délit et puni de peines d'emprisonnement.

Des peines d'emprisonnement qui sont bel et bien appliquées mais qui servent dans le même temps à maintenir les migrants sous une pression constante : par peur de la condamnation, mais aussi parce que la procédure pénale est utilisée comme antichambre de la procédure d'expulsion.

C'est le deuxième instrument de la politique d'exclusion : la procédure d'expulsion est elle-même l'occasion de pratiquer l'enfermement, non plus pénal cette fois, mais administratif.

C'est un enfermement lié à la simple condition de migrant ou de demandeur d'asile (dans les zones d'attente des aéroports et des ports).

C'est surtout un enferment qui est pratiqué de manière de plus en plus systématique et à grande échelle : le nombre de Centres de Rétention (dit Aministratif – CRA) croît sans cesse et leurs capacités d'accueil sont multipliées (l'ouverture récente du centre du Mesnil Amelot en est la démonstration la plus éclatante).

Mais si cet enfermement est administratif, il est en réalité pratiqué sur le mode carcéral : « un centre de rétention, c'est une prison avec le téléphone en plus ... ».

Et ce choix de l'enfermement carcéral, est clairement fait pour lui donner une dimension « pénalisante ».

Officiellement, il ne s'agit pas de punir, mais seulement de se donner les moyens d'éloigner – comme on dit – l'étranger : enfermer serait seulement la conséquence « secondaire » d'une logique purement administrative d'expulsion.

Mais l'intention pénalisante est sous-jacente à toute la procédure : interpellation, garde à vue, menottes, fourgon cellulaire, modalités de l'enfermement… : tout ceci tend, là encore, à installer l'idée de la dangerosité des étrangers.

Tout est fait comme s'il s'agissait de « faire payer », mais aussi de dissuader (autre objectif, classique, de la peine) : l'affichage des résultats de la politique d'expulsion et les privations de liberté et de droits que subissent les étrangers, tendent à faire d'eux des « relais d'opinion » dans les pays d'origine pour dissuader d'émigrer vers l'Europe et la France.

Au demeurant, l'Union européenne a elle-même validé et encouragé cette pratique de l'enfermement en adoptant la trop fameuse « directive de la honte ».

Surtout, elle pratique un politique assez cynique d'externalisation des camps d'enfermement dans les pays situés à l'extérieur de ses frontières et ce, au moyen d'un ensemble d'accords bilatéraux et avec l'aide de son agence « Frontex ».


 

Alors que faut-il faire ?

Au minimum : restaurer le contrôle des juges sur ces procédures de placement en rétention, c'est-à-dire abroger les dispositions de la loi du 16 juin 2011 qui retardent de cinq jours l'intervention du juge des libertés et de la détention.

Ensuite, mettre fin à la pénalisation du séjour irrégulier, totalement inutile, gravement attentatoire à la liberté d'aller et venir et maniée comme un inadmissible instrument de stigmatisation des étrangers.

Enfin, renoncer définitivement à l'enfermement administratif des étrangers, conçu et pratiqué comme un mode de gestion des mouvements migratoires et instrumentalisé au profit d'une politique d'affichage électoraliste.

 

Patrick Henriot, extrait du film ciné-frontières Notre Monde (Agat, LBP, Sister, 2013) réalisé par Thomas Lacoste.

Patrick Henriot est magistrat, substitut général à Paris, ex-secrétaire national du Syndicat de la magistrature.

http://www.youtube.com/watch?v=v2RrHZOYXZ4&feature=share&list=PLl5B1u5Y1GOQ-Y-dl7ErzER7q3vlV8vTr

http://www.notremonde-lefilm.com/webdoc.html